Pourquoi le théâtre, pourquoi acteur ?
Je pense que le virus a incubé chez moi insidieusement à cause du TNP (Jean Vilar, Gérard Philipe, etc.). Spectateur assidu en tant que voisin, chaque représentation était pour moi un départ pour un grand voyage... peut-être une sorte d’Embarquement pour Cythère. Le célèbre "accueil en musique" qui précédait y était peut-être aussi pour quelque chose.
Après un épisode "musical" dans une chorale (le chant me paraissait très beau aussi), le théâtre s’est réveillé à nouveau chez moi, pendant mon service militaire. Pour tromper mon ennui je me suis mis à "déclamer" des extraits de pièces, particulièrement en haut du mirador où j’étais censé surveiller les pistes d’un aérodrome. Bref ça m’a repris et j’ai voulu tâter concrètement du théâtre. Après quelques esquisses d’approche auprès de Jean Vilar, qui a eu la gentillesse de me répondre, j’ai rabattu mes naïves ambitions. Finalement je me suis retrouvé sur les planches au début des années 60 grâce à la Fédération Théâtre et Animation. Et ça ne m’a pas quitté depuis.
Avant de jouer à La Phalène (à partir de 1985), j’ai navigué d’une troupe à l’autre, d’un metteur en scène à l’autre, d’un auteur à l’autre avec toujours beaucoup de "gourmandise".
Quelques auteurs émergent pour moi au cours de cette période :
Pirandello : Le bonnet du fou, L’homme, la bête et la vertu, À chacun sa vérité
Molière : Le malade imaginaire, Le médecin malgré lui
Obaldia : L’azote, Les innocentines
M. Achard : Le Corsaire
Lorca : Noces de sang
V. Hugo : Angelo, tyran de Padoue
Tardieu : Conversation sinfonietta, Un mot pour un autre, Les amants du métro
Dostoievsky : L’idiot (rôle du Prince Mychkine)
Anouilh : Les poissons rouges
Musset : Les caprices de Marianne
Albee : Zoo Story
Quelques moments ou circonstances un peu marquants ou exceptionnels, pour moi du moins, ont jalonné cette période :
l’expérience de 2 saisons au Lucernaire dans 2 spectacles, basés sur la Recherche du Temps Perdu de Proust
une échappée cocasse à New York pour présenter un spectacle "Prévert" dans une atmosphère un peu "boîte de nuit" de Greenwich Village
Ma rencontre avec Daniel TRUBERT et La Phalène a représenté pour moi un rebondissement, des visions nouvelles, des découvertes d’auteurs, l’occasion d’une implication plus grande dans l’approche des textes et des personnages.
C’est passionnant de partir parfois "à l’aveuglette", un peu dans le noir, et de déboucher petit à petit dans la lumière grâce à l’interaction du metteur en scène et de l’acteur.
La "révélation" est souvent surprenante et je ne l’ai jamais autant senti qu’à La Phalène.
J’y ai aussi souvent découvert des affinité étranges entre la musique et le théâtre (je pense notamment à Britten, Schoenberg, Messiaen et... Wagner, entre autres), sans oublier notre compositeur et violoncelliste "maison" Pat Griffiths.
La Phalène m’a aussi permis de me rapprocher ou de redécouvrir certains auteurs très ou peu connus, de Shakespeare à Billetdoux en passant par T. Williams, J. Senac, Kawabata, Obaldia, Dubillard, T. Duvert, F. Mallet Jorris, sans oublier l’auteur "maison" dont j’ai appris à goûter toute l’étrangeté, Daniel Trubert.
Le travail d’un Feydeau m’a aussi ouvert des horizons sur la noirceur et le "grinçant" des ses pièces.
Je ne peux m’empêcher aussi de parler de Tchekhov pour lequel j’ai une particulière tendresse. Ses personnages sont tellement humains, tellement imparfaits, et par là sublimes. Ils n’ont rien d’idéalisés. Ils ne cherchent pas à séduire. Ils n’ont pas de messages à transmettre ou de leçons à donner. Ils sont à la fois méchants, violents, désespérés, rêveurs, lucides. Dans leurs travers, leurs cris, leurs murmures, leurs voix voilés ils semblent se débattre et nous appeler à l’aide. À nous d’essayer de les sauver.